Jasmine Records

Encore une étape sur les rééditions Jasmine

par Philippe Prétet

Ruth Lee Jones (1924-1963) aka Dinah Washington était une musicienne et une professionnelle hors pair capable de chanter avec bonheur blues, ballades, pop songs, jazz, standards de Broadway… Elle déclarait avec une certaine fierté : «  I can sing anything » soit « je peux chanter n’importe quoi », mais pas n’importe comment ! Elle pouvait tout chanter et tout bien chanter ! Dans l’histoire de l’art vocal afro-américain, elle se place au sommet, aux côtés de Bessie Smith, de Billie Holiday, de Mahalia Jackson et d’Ella Fitzgerald. Cette star qui s’autoproclamait « Queen of the Blues » ne pouvait laisser insensible son auditoire et ses détracteurs tant sa personnalité était clivante. Elle conjuguait le divin et le quotidien, la ferveur sacrée des chorales religieuses et la salacité du blues soulignée par une diction impeccable et un zeste de vulgarité.

La trangression d’un interdit qui traversait la communauté afro-américaine déclenchait alors des désaccords profonds entre la bourgeoisie noire choquée de la façon dont elle altérait le gospel, y compris la légèreté avec laquelle elle s’intégrait à la famille du R&B, ce qui l’accusait, selon ses dénigreurs, de trahir ses origines ; à l’inverse, le public des ghettos tout comme le microcosme musical étaient en admiration devant cette vocaliste exceptionnelle qui réussissait la conversion des grands classiques de la musique américaine et de la country aux nouveaux goûts et aux aspirations de son auditoire. Dinah Washington a ainsi inspiré la génération suivante de femmes du blues et du rhythm and blues, d’Esther Phillips en passant par Ruth Brown ou Etta James à sa plus grande fan Aretha Franklin.

Il est presque impossible de deviner la direction que le R&B féminin aurait pu prendre sans elle. Cette nouvelle compilation Jasmine de 28 titres complète le précédent album Through The Night consacré à ses premières œuvres, en reprenant l’histoire de Dinah en 1956 et en la poursuivant jusqu’à certaines de ses dernières sessions en 1962. La fin des années 50 constitua un tournant majeur pour Dinah lorsque le producteur Clyde Otis l’incita à aborder le répertoire Pop de manière plus consensuelle, ce qu’elle fit avec « What A Difference A Day Made » (1959) des frères Dorsey primé par une huitième place au Hot 100.

C’est pourtant grâce à un retour au blues sous la houlette de Clyde Otis qu’elle obtint la consécration en enregistrant avec Brook Benton une série des plus grands duos de l’année 1960 dont l’orchestration à la fois ample et affable tranchait avec la gouaille de sa voix acide et légèrement nasillarde. Plébiscités par les publics R&B et Pop en 1960, « Baby (You’ve Got What It Takes) » dix semaines en tête des charts noirs et « A Rockin’ Good Way (To Messs Around And Fall In Love) s’inscrivent alors dans un registre modus vivendi pour plaire à un plus large auditoire. La même année, elle enregistre « This Bitter Earth », puis « September In The Rain » (1961).

L’accent est mis ici sur les chansons R&B de Dinah, ce qui peut intéresser les fans de « early soul » qui ne se rendraient pas (encore) compte de l’influence énorme qu’elle a eue sur ceux qui l’ont suivie. Dinah quitta Mercury en mars 1962 pour rejoindre Roulette Records. « I Wouldn’t Know (What I Do) », « Drinking Again » et “It’s A Mean Old Man’s World” titres enregistrés en 1962 possèdent cette saveur soul magique magnifiée par la voix intemporelle de Dinah Washington. Sa mort accidentelle et tragique (elle meurt d’un cocktail d’alcool et de pilules amaigrissantes) intervient à la fin de 1963 alors que sa carrière stagne pour la première fois. Il serait difficile de trouver un meilleur échantillon du répertoire de cette période 1957-1962 de sa carrière discographique. Cela montre pourquoi, plus de 60 ans après sa mort, les fans sont toujours « dingues de cette fille ». Indispensable.

Jimmy Wilson -Blues In The Alley 1948-1956

Jimmy Ned Wilson (1918-1966) était un des éléments-clés de la scène blues de la Bay Area (CA) du début des années 1950 surtout connu pour « Tin Pan Alley » (1953) véritable standard du blues d’un artiste au demeurant bien trop sous-estimé. Jimmy Wilson n’a jamais été interviewé, et le (très) peu que nous savons de lui provient des souvenirs de quelques musiciens qui ont travaillé avec lui à différentes époques. Bien qu’il ait eu une carrière qui s’est étendue sur près d’une décennie et demie et qu’il ait présenté l’un des classiques de tous les temps du Rhythm & Blues de Californie, la plupart de ses disques de valeur égale se sont bien vendus localement, sans pour autant atteindre le grand public.

Wilson chantait avec un quartet de gospel, les « Pilgrim Travelers » en Californie, lorsque Bob Geddins, compositeur de la côte Ouest, remarqua sa voix bluesy caractéristique avec un léger staccato. Il commença à l’enregistrer à Oakland en 1951, avec son groupe Bob Geddins’ Cavaliers et en son nom propre, pour son label Cava-Tone, comme sur « Honey Bee », « Please Believe Me » et le superbe slow down « Mistake In Life » en compagnie du légendaire guitariste de la Bay Area, Lafayette Thomas. La compilation « Blues In The Alley » offre un superbe aperçu non seulement de la musique de Jimmy, mais aussi de la scène blues de la Bay Area au début des années 1950, dont Jimmy, répétons-le, était une pièce maîtresse. Les 28 titres constituent tous les enregistrements qu’il a réalisés avec Geddins entre 1948 et 1956.

jimmy wilson

Certains des masters sont achetés par Aladdin Records, basé à Los Angeles. Wilson enregistre pour Aladdin en 1952 et sa petite filiale 7-11 avant de retourner enregistrer avec Geddins pour Big Town Records en 1953. La première face publiée sur ce label, « Tin Pan Alley », atteint la dixième place du Billboard R&B américain et contribue à faire de Geddins une figure majeure du blues de la côte Ouest. La majeure partie de la production de Wilson au milieu des années 50 a été publiée sur Big Town, bien que des sorties occasionnelles aient eu lieu sur Irma et Elko (chez ce dernier label l’étiquette de « I Use To Love A Woman » le crédite en 1954 sous le nom de Jimmy Nolen’s Band), et que quatre titres aient été publiés sur le label Chart. Entre autres titres somptueux « Blues At Sundown » permet à Lafayette Thomas d’éclabousser la scène sonore par son jeu limpide, fluide et talentueux. Idem à l’écoute de « Tell Me ».  « Poor Poor Lover » à tempo mi-rapide assène un groove épatant.

Peu après avoir enregistré le superbe et déchirant titre éponyme « Blues In The Alley » en 1956, le dernier de ceux présentés ici, Jimmy s’est éloigné du nord de la Californie et a continué à enregistrer en Louisiane où il enregistre pour Goldband Records des titres qui semblent en retrait par rapport à ceux de Geddins ;  néanmoins, sa chanson de 1958 « Please Accept My Love »  accompagnée par la guitare de Clarence Garlow connaîtra un succès local éphémère. Le titre sera ensuite enregistré par B. B. King et Elton Anderson. Ses derniers enregistrements se font pour Duke Records à Houston en 1961. Grand buveur, il est décédé prématurément en 1966 à l’âge de 42 ans négligé par les acheteurs de disques. Voici des faces captivantes qui ressurgissent aujourd’hui à (re)découvrir en urgence chez les amateurs de R&B et de blues de la Bay Area des années 1950. Indispensable.

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