15 ans, déjà ! Créé par deux amis passionnés de blues et de musiques afro-américaines, Vincent Delsupexhe et Thomas Lécuyer, le Blues Rules Crissier festival est organisé par l’association Blues en Scène, composée de bénévoles amateurs ou passionnés. Niché dans le bucolique parc de Montassé qui surplombe la ville de Lausanne et le lac Léman (Suisse), le Blues Rules occupe une place à part parmi les festivals de blues du Vieux Continent. ” Nous ne savions pas comment créer un festival, alors on n’a pas fait comme les autres! “ racontent les co-fondateurs. Depuis 2010, le « Crississippi » a la particularité d’être le seul festival en Suisse (sinon en Europe !) à offrir à son public de connaisseurs de somptueuses affiches composées d’artistes, obscurs ou connus, dont plusieurs sévissent dans le Mississippi notamment dans les collines du Nord (Hills), région coincée à l’ouest par le riff de Choctaw et au nord-est par les Appalaches, ancienne terre des indiens Chickasaws. C’est dans cette contrée du Sud des Etats Unis que s’est développé le « Hill Country Blues », cette musique joyeuse et dansante, lancinante, hypnotique, très rythmée et de structure finalement assez simple qui confine à la transe chez celles et ceux qui un jour y ont goûté et qui y reviennent comme pour assouvir une addiction, sans modération.
Du côté de Holly Springs, comme pour perpétuer un rituel bien huilé, les artistes locaux, toutes générations confondues, se retrouvent chaque année en juin sous la houlette de Kenny Brown (fondateur et habitué de Crissier) pour interpréter des concerts jubilatoires et extatiques à l’incontournable « North Mississippi Hill Country Picnic » situé dans une clairière à proximité du bourg de Waterford (MS) au croisement de la Highway 7 et de la Highway 310. Visionnaire et précurseur, Vincent Delsupexhe s’est rendu à ce festival pour y dénicher les perles rares qui marquent l’histoire du Blues Rules depuis 15 ans. A chaque édition du « Crississippi », le Blues Rules puise donc à la source de cette riche tradition du Hill Country Blues des collines du Nord et propose, concomitamment, une touche de modernité en surfant sur les courants les plus actuels des musiques afro-américaines. Une palette de couleurs et de diversités culturelles unique en son genre pour le plus grand bonheur des festivaliers fidèles qui ne manquent pas de cocher sur leur agenda le premier week-end de juin, pour se rendre à ce festival familial et sans chichi où bien-être rime avec qualité artistique.
En 2025, la quinzième éditions du Blues Rules n’a pas failli à la règle : une affiche qui repose sur des exclusivités et des premières suisses et européennes, pas moins de dix huit groupes se sont produits sur deux scènes en alternance, les 6 et 7 juin derniers.
Libby Rae Watson & Bill Steber
Un très bon set de Libby et Bill Steber. Libby Rae Watson (voc, g) originaire de Pascagoula, Mississippi, a joué du blues depuis les années 1970. Beaucoup se souviennent qu’elle avait délivré un superbe set au Blues Rules il y a deux ans. Libby a eu pour mentor le grand Sam Chatmon, dernier survivant des Mississippi Sheiks. Je n’avais pas l’intention de « trouver » le blues. C’est le blues qui m’a trouvée. Il me consume depuis plus de 40 ans ! Comme l’a dit Sam Chatmon, « le blues est mon occupation quotidienne ». Libby est aussi une photographe avec une approche ethnomusicologique de premier ordre qui documente un fonds d’archives passionnant à découvrir. Bill Steber, homme jovial et débonnaire à souhait, est connu dans le microcosme du blues comme le photographe argentique qui s’est spécialisé dans la musique afro-américaine. Ses clichés en noir et blanc superbement créatifs et originaux ont fait le tour du monde. Ils ornent les pochettes d’album et les articles de la presse spécialisée. Bill Steber, écrivain, poète et multi-intrumentiste (bango, guitare, scie…) est venu pour la première fois jouer en Suisse, accompagné de Libby. Le set de Libby & Bill comprenait les chansons suivantes : parmi d’autres, , “Junco Partner”, “Anytime Man”, ” Big Joe” & “You Don’t Know My Mind”. Un duo en parfaite osmose qui a été plébiscité par un public suisse ravi.
Stud Ford (voc, d, g) & Will Coppage (voc, g)
Stud, petit-fils du regretté James T-Model Ford, « The Tale Dragger », après avoir obtenu son passeport (après plus de dix ans de multiples tracas administratifs suivis de près par Vincent Blue Delsupexhe) a pu enfin venir pour la première fois en Europe, accompagné d’un autre auteur compositeur et musicien du Delta : Will Coppage. Sur scène, ça décoiffe : des rythmes du Delta, des grooves lourds, une vérité brute et aucune règle. L’héritage de T-Model Ford électrifié par une machine à rythmes à deux qui crache du feu à travers le fuzz et le funk. Leur blues est brut de décoffrage. Puissant. Parfois mystique. Stud Ford & Will Coppage redéfinissent ce que le blues peut être en fusionnant les traditions du Delta du Mississippi et du Hill Country avec assurance, un stomp et une âme revitalisée pour une nouvelle génération. Stud, le petit-fils du légendaire T-Model Ford, fait donc équipe avec l’auteur-compositeur et guitariste Will Coppage pour offrir des riffs sales, des rythmes entraînants et des chansons profondes issues de leur premier album comme sur « Ain’t No Love », « Spell On Me », « Shake » ou « Life ». Prometteur. A suivre.
Eric Bibb & His Bues Band
Retour à Crissier en formation complète pour cette référence du blues contemporain, troubadour chaleureux et bienveillant, conteur hors pair d’une musique séculaire. Eric Bibb, au sommet de son art joue une musique intimiste aux orchestrations et mélodies bien léchées. Il est devenu, au fil du temps, plus qu’un troubadour du blues : c’est un conteur et un philosophe. Son héritage ne se limite pas aux notes qu’il joue ou aux scènes qu’il honore, mais aux questions qu’il pose et à l’espoir qu’il insuffle. 90 minutes de pur bonheur extatique (surtout à mon avis en version acoustique) qui ont envoûté le public avec “Bring Me a Little Water Sylvie”, “I’m Going Down the Road”, “Take Some Time”, “Lay My Body Down” et “Come Back, Baby”. Un accessit à son brillant guitariste “Mr Cool” Staffan Astner qui apporte, grâce à son fin toucher, un vrai plus au set.
Rene Miller & The Montreuil Parasites
Un beau set de blues avec une touche d’Americana, présenté par Rene Miller en première partie. Rene Miller, Rene Miller avec les Montreuil Parasites de JOhnny Montreuil, au Blues Rules. Avec Marceau Portron, Johnny Montreuil, Kik Liard, Steven Goron, Rön Droogish.
Les cartes blanches
Le concept est original et bienvenu: offrir une scène entière, 4 concerts, à un musicien de façon à être dans l’esprit du partage du Blues. Fred Raspail, l’artiste protéiforme, a concocté une affiche sur la scène des Pèdzes qui a permis de découvrir Eonie Singt : à la croisée du Blues et du Folk, cette artiste allemande a obtenu un succès d’estime mérité pour celle qui avait le privilège d’ouvrir le bal. G. Rag y Los Hermanos Patchekos : les douze Patchekos ont insufflé une épatante envie de danser sur la pelouse de Montassé. Il s’agit d’un groupe de 10 musiciens de Munich, en Allemagne, décrit comme un « Mediterranean Caribbean Trash Folk Space Arkestra ». J’ai été impressionné par les nombreux styles de musique qu’ils ont joués au cours de leur set d’une heure. Leur musique incorpore des éléments de cumbia, de swing, de valse, de punk rock et des reprises de divers artistes, dont Moondog. Un set agréable et varié.
Grand Raspail & The Marquee’s : un duo franco-anglais des plus détonants mais aussi des plus actifs sur les rives du Léman, scandant le besoin vital de danser, à condition que la musique soit bonne. Un beau succès. Idem pour Patchekos Fred’s Special avec Pierre Omer & Monney B. Autre “Carte Blanche” à Johnny Montreuil avec Gombo Chaoui dans une version dansante Cajun virevoltante.
Restavrant
Ce groupe de punk-blues-surf-rock californien est bien trop rare en Europe et ils ont accepté de venir faire un saut en Suisse pour une première pour le temps du festival, Ils ont souvent partagé la scène avec les plus dignes représentants du Deep Blues (Bob Log III, Scott H. Biram, James Leg, The Black Keys …). Sur scène, ça déménage !
Les petits chanteurs à la gueule de bois
Les Petits Chanteurs à la Gueule de Bois, mêlent musique, humour et poésie dans des spectacles pour petits et grands. Composés de Lionel Aebischer, Frédéric Erard et Raphaël
Pedroli, ils aiment les jeux de mots autant que les apéros. Au Blues Rules, ils ont eu le blues !
Candice Ivory
Première fois en Suisse pour la talentueuse Candice Ivory : The Queen of Avant Soul (dont le grand oncle fut le regretté Will Roy Sanders, guitariste des Fieldstones groupe phare du Memphis blues des années 70-80). Candice (Grammy-nominated rising star blues/soul singer) évolue dans la lignée des plus grandes chanteuses afro-américaines de Blues’n’Boogie avec un penchant Honky-Tonk assumé. En pleine ascension actuellement, à l’occasion de sa première tournée européenne entamée en Espagne et organisée par JayBee Rodriguez, le patron de Solo Blues, elle a commis un concert très apprécié à Crissier avec son claviériste le brillant Ben Levin et l’excellent groupe belge habitué du festival « Well, Well, Well » composé de R.L. Lesire: Guitar/Vocals, Fabian « Lord » Benardo: Vocals, Harmonica, Gert Servaes aka Easy G: Drums. Affublée d’un chapeau « haut de forme » qui lui donne une touche classique très sensuelle et originale, pétrie de talent, avec sa voix intemporelle et envoûtante, mâtinée de gospel et gorgée de soul, une énergie rare, une présence scénique impressionnante et un charisme débordant, la Reine de l’Avant Soul a interprété plusieurs titres de son remarquable album « When The Levee Breaks (The Songs of Memphis Minnie). Parmi d’autres titres de valeur égale, on peut citer “Strong Black Mattie”, “Pile Driving Blues”, “Hole In The Wall”, “Me & My Chauffeur” & “Hoodoo Lady”. Le public a adoré Candice et l’a ovationnée à la fin de son magistral spectacle. Au vu de sa fulgurante ascension Outre-Atlantique et de ses premiers concerts en Europe, elle est probablement l’étoile montante de la musique afro-américaine installée à Saint-Louis (Missouri) qu’il faut suivre de très près. Un nouvel album « New Southern Vintage » chez Nola Blue qui sortira courant août. Pour Candice : « New Southern Vintage » est tourné vers le futur, et sur la façon dont les différents styles vocaux du blues, du jazz et du gospel peuvent s’unir pour devenir quelque chose de plus grand : Avant Soul». Can’t wait ! Bref, vous l’avez compris, Candice Ivory est mon coup de cœur du Blues Rules 2025.
Olympic Antigua
Ce groupe suisse de soul blues rock issu de la scène locale du lac Léman, inspirés par les pionniers de Stax et de Motown, a joué un set accrocheur et convaincant.
Rev Slim & Son
Myles Forrest aka Rev Slim (voc, g) récompensé aux Grammys à deux reprises et son fils Micah (voc, d) en provenance de Grenada (MS), que l’on peut voir régulièrement sur la scène de Clarksdale, ont présenté un set de blues très convaincant. Slim, qui a été membre du groupe de Keith Johnson, s’est mis à son compte avec son fils Micah à la batterie. Micah, 15 ans, dont c’était la première sur scène, a chanté « Dust My Broom » et était superbe dans son smoking blanc. Slim élégant et fin guitariste a également interprété des standards tels que “Feel So Bad”, “Little Bluebird”, « I’ll Play The Blues For You », « Stormy Monday » une superbe version acoustique arrangée de “All Things”, “Are you Serious”, l’incontournable “Hoochie Coochie Man” et « If You Believe ». Un grand moment de complicité et des émotions palpables partagées entre père et fils et le public conquis sur la scène du Blues Rules. Une chouette découverte pour les festivaliers.
James Leg
Venu lors du tout premier Blues Rules en 2010, ce révérend claviériste a entrainé la foule dans un exorcisme musical, un trip aux tréfonds des vôtres. Set accrocheur.
Jesse Cotton Stone
Jesse Cotton Stone ne laisse pas insensible : avec un look décomplexé, il mêle les styles musicaux caractéristiques des traditions régionales du blues, allant du blues du Nord du Mississippi Hill Country, au Delta Blues et au Cotton Patch Soul Blues de Junior Kimbrough, en passant par les racines urbaines du blues de Chicago, du R&B, de la soul, du funk et du rock psychédélique, transportant les auditeurs dans l’univers déchirant du blues américain vintage, avec le sens du spectacle implacable d’un véritable artiste. Alors qu’il travaillait gamin avec son père dans le circuit des fêtes foraines du Midwest, Jesse a entendu la musique de Jimi Hendrix et a découvert l’influence que le blues avait eue sur son héros. Cette expérience l’a incité à vendre sa collection de petites voitures Matchbox pour acheter sa première guitare électrique. Jesse est un guitariste très physique qui nécessite une énergie rare. Il fait littéralement corps avec sa guitare, sorte de croisement entre un guitariste et un contortionniste. Cela dit, ne nous méprenons pas : c’est un artiste incroyable qui était accompagné par l’excellent Bobby Gentilo (guitariste producteur, ex-Cornlikers groupe qui accompagnait Big Jack Johnson « The Oilman ») avec un show qui a ravi les festivaliers jusqu’à une heure avancée de la nuit. On a pu écouter une version juteuse de son dernier titre « Welcome to the Hell Country”, “Devis Woman Blues » ou « Can’t Hang On ».
Il est temps de conclure. Milles mercis à Thomas Lecuyer et Vincent Blue Delsupexhe aka les « bichons » pour avoir organisé le Blues Rules depuis 15 ans ! C’est à chaque fois un réel plaisir de se retrouver à Crissier avec de belles découvertes à la clé. Merci aussi aux 150 bénévoles et à tous ceux qui travaillent dans l’ombre et qui sont essentiels à la réussite du festival (ingénieur du son et lumière, régisseurs scène). Un dernier clien d’œil à Barrigue dessinateur de la revue satirique suisse « Vigousse » qui a croqué comme il se doit le Crississippi 2025. Vivement la 16ème édition !
Texte et photos par Philippe Prétet















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