Jasmine Records
par Philippe Prétet
Outre-Manche, Hasmick Promotions Limited a été créée en 1965. À l’origine, la société était spécialisée dans l’importation des États-Unis de divers formats de musique pour une écoute en voiture. En 1982, le label Jasmine a été créé pour produire des disques vinyles et des cassettes. Il se concentre d’abord sur les enregistrements sous licence de jazz et de musique de caractère. Plus tard, en 1985, Jasmine lance avec succès son catalogue Country & Western. Les premiers CD de Jasmine sont publiés en 1990. Aujourd’hui, Hasmick Promotions publie par l’intermédiaire du label Jasmine, des œuvres originales rééditées et remasterisées à l’aide des équipements les plus récents. Le label englobe désormais le Doo-Wop, le bluegrass, le jazz, le rock, le rockabilly, la country, le blues -et bien d’autres styles encore. Au fur et à mesure des parutions, les amateurs de blues peuvent assouvir leur passion dévorante et ainsi profiter d’autres sessions (avec des titres parfois inédits) grâce à des compilations qui sélectionnent, judicieusement, les périodes charnières de la discographie des artistes.
Voici une sélection des récentes parutions du label londonien que vous pourrez trouver ici https://jasmine-records.co.uk/genres/?shopTag=1633
Oscar Wills (1916-1969) aka « T.V. Slim », (pseudonyme qu’il doit au magasin de réparation de téléviseurs qu’il a tenu à Shreveport et qui lui a été suggéré par Stan Lewis, qui lancera Jewel Records en 1963 dans la même ville) est peut-être l’homme pour lequel le mot « énigmatique » a été inventé. Il n’a jamais enregistré de grand succès national et ne semble avoir travaillé comme musicien à plein temps que de manière sporadique. T.V. Slim reste un artiste peu documenté. Né Oscar Wills le 10 février 1916 à Houston (Tx), il a appris très jeune la guitare et l’harmonica, influencé autant par les bluesmen locaux que par les vedettes du Grand Ole Opry comme DeFord Bailey dont il écoutait les programmes à la radio. Façonné par le blues rural texan et louisianais, T.V. Wills interprète un répertoire fort original, d’une voix rugueuse mais sans âpreté. Parolier plein d’esprit, guitariste habile et incisif dont le jeu évoque Guitar Slim, il s’exprime également à l’harmonica, où son phrasé rappelle les deux Sonny Boy Williamson. Après divers jobs manuels, c’est pendant son service militaire sur le théâtre du Pacifique durant la guerre que Wills a appris l’électronique et est devenu un expert en réparation des radios et des téléphones. C’est avec son pécule de guerre reçu lors de sa démobilisation et après son mariage avec Carla que Wills se fixe à Shreveport (La) et ouvre son Oscar Wills’ Radio Repair Shop sur 1011 Caddo Street, annoncé dans la presse locale (Shreveport Sun) le 19 avril 1947. En plus de son magasin, Wills se produit localement avec son groupe, les Heartbreakers, qui au milieu des années 1950 comprend Mighty Joe Young à la seconde guitare, Eddie Williams au piano, peut-être Baby Joe Little à la basse et Jimmy White à la batterie. En plus de chanter et jouer de la guitare, Wills écrit aussi ses chansons . Vers 1955, il vend une de ses compositions, « My Dolly Bee », au producteur Don Robey. Deux ans plus tard, Junior Parker l’enregistre chez Duke en face B de « Next time you see me », ce qui lui vaut un succès notable que l’on peut écouter dans cette compilation Jasmine. Une publicité annonçait : « 3 000 exemplaires commandés les deux premiers jours ». Le présent opus qui s’intitule « The Flatfoot Sam Man » rassemble trente-deux faces (sur un total de trente-huit connues de lui à ce jour) dont il est l’auteur, plus la reprise par Little Junior Parker de sa chanson « My Dolly Bee ». Ses disques originaux, dont beaucoup n’ont été pressés qu’en nombre limité, sont des objets de collection depuis des décennies. Wills fait ses propres débuts sur disque en 1955 sur son propre label Speed avec « The fight/ Darling remember ».
En 1958, Wills sort un disque contenant « To Prove My Love » en face B de « You Can’t Buy A Woman » avec Mighty Joe Young à la guitare. Les deux chansons sont écrites par Wills et Stan Lewis. Quelques mois plus tôt, Wills avait connu son plus grand succès avec la chanson « Flatfoot Sam ». T.V. Slim grave en mai 1957 une première version de l’humoristique Flatfoot Sam pour la petite marque Clif. Grâce à Stan Lewis qui connaît le staff de Chess à Chicago, il réenregistre la chanson un mois plus tard pour Argo (filiale de Chess) avec la formation bien plus consistante du pianiste Paul Gayten, notamment enrichie de trois cuivres à écouter ici Flatfoot Sam (1957). Entré dans le Top 100 de Billboard grâce au morceau en face B (Nervous boogie, sans T.V. Slim), c’est le plus grand et seul succès de T.V. Slim qui a fait l’objet d’innombrables compilations de Blues, R&B, R&R et/ou Rockabilly. Une autre particularité de la version Argo de « Flatfoot Sam » concerne la mention de la compositrice de la chanson, qui était auparavant Clara Wills. Un autre pressage mentionne les auteurs comme étant « Oscar Wills et Stan Lewis ». En 1959, T.V. Slim déménage à Los Angeles en Californie, où il continue de mener de front ses deux activités, son magasin de réparation (Ideal Music and T.V. Repair Shop) et la musique. Il poursuit ses enregistrements jusqu’en 1968, la plupart pour son label Speed et quelques autres pour de petites marques (Timbre, Excell, Pzazz, Ideel), sous les noms de T.V. Slim ou d’Oscar Wills, ou avec divers groupes comme les Heartbreakers, His Bluesmen et His Good Rockin’ Band. Bien que jouant et enregistrant régulièrement, Oscar Wills a vécu essentiellement de son métier de technicien et la musique n’était qu’une activité secondaire pour lui. C’est en revenant d’un cachet à Chicago que T.V. Slim s’endormira au volant de sa voiture et décédera prématurément dans une collision sur une route d’Arizona le 21 octobre 1969. Un artiste atypique qui mérite d’être reconnu à sa juste valeur. Très recommandé.
George “Harmonica” Smith (1924 – 1983) de son vrai nom Allen Georg Smith était affublé de plusieurs pseudonymes tels que Little Walter Junior, Little George Smith, George Allen et Harmonica King. George Smith a été l’un des premiers à amplifier son harmonica, en utilisant un amplificateur qu’il avait récupéré sur un vieux projecteur de cinéma. Il est connu pour avoir collaboré avec Muddy Waters (il a remplacé Henry Strong, le successeur de Little Walter au sein de ce célèbre groupe de blues, après que Strong ait été poignardé à mort par une petite amie jalouse) et, plus tard, avec Big Mama Thornton. Smith s’est vu attribuer la paternité du son de l’« harmonica blues de la West Coast », perpétué plus tard par Rod Piazza et William Clarke. En réalité, comme le rappellent avec justesse les notes de pochette de ce disque, il a créé un son qui est un mélange de blues de Chicago et de swing de Kansas City. Dôté d’un sens dramatique aigu, George Smith tirait de l’harmonica chromatique des phrases denses, aux effets lancinants. George Smith admirait beaucoup l’harmoniciste Larry Adler, et bien que ce dernier ait également utilisé la technique de l’octave à l’harmonica, c’est vraiment George Smith qui a développé tout le potentiel de cette technique que personne dans le blues n’avait jusqu’alors utilisée. George Smith était aussi un showman spectaculaire et un remarquable accompagnateur rappelant un certain Little Walter. Ce disque qui comporte 31 titres donne un aperçu de la période 1954-1962 avec des morceaux classiques de Smith comme « Telephone Blues » (un tour de force en troisième position), « Oopin’ Doopin’ Doopin’ » et « Blues In The Dark » – ce dernier morceau est une démonstration d’harmonica chromatique avec les octaves bloquées par la langue de Smith, une caractéristique importante de son style sur l’instrument qui s’est avéré très influent-. Certes, beaucoup de ces titres ont été publiés ailleurs (Ace, P-Vine) mais il est opportun de les avoir rassemblés dans cet album, car il s’agit, à ma connaissance, de la collection la plus complète des titres qu’il a enregistrés lors de cette période. En effet, cette compilation combine plusieurs albums de Smith sur des labels comme Modern, Federal, King, RPM, Carolyn, Sotoplay, Checker, J & M et Lapel. Smith était aussi l’un des meilleurs chanteurs de blues. En l’occurrence, à l’écoute, on discerne des inflexions gospel dans la tessiture de sa voix ern mode baryton, réminiscence probable de sa période avec les Jackson Jubilee Singers avec lesquelles il effectua des tournées dans le Sud. Ici, on peut écouter Smith dans une variété de contextes musicaux, allant de petits combos à des big bands, et des grooves qui couvrent un large spectre allant du slow blues teinté de gospel aux shuffles, au swing et au boogaloo. Sont également inclus ici ses enregistrements en soutien à des poids lourds tels que Otis Spann sur l’incantatoire « It Must Have Been The Devil », le très swinguant « Sharp Harp » en osmose avec le piano aérien de Jack Dupree et « Come On Home » avec le brillant guitariste Jimmy Nolen. Smith passa la majeure partie de sa vie sur la côte ouest, où il influença des musiciens tels que William Clarke et Rod Piazza. Il meurt en 1983 à Los Angeles, en Californie, à l’âge de 59 ans, d’une insuffisance cardiaque. Indispensable.
(1-à suivre)
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