Koko Mojo: Right Hand Man + Boss Black Instrumental Rockers
Par Philippe Prétet
Que de bonnes nouvelles en provenance d’Allemagne ! D’abord, avec la suite de sa série intitulée « Right Hand Man », Koko Mojo Records perpétue sa tradition de compilations de qualité en rééditant des perles et pépites qui permettent de (re)découvrir des musiciens des plus connus aux plus obscurs parus sur des labels emblématiques et/ou locaux. Le volume 2 de Charles « Chuck » Norris s’inscrit dans cette logique. Ensuite, après le grand succès de Boss Black Rockers et la remarquable suite More Boss Black Rockers, que l’on peut découvrir ici : https://www.ilblues.org/koko-mojo-right-hand-man-fr/ voici la troisième partie intitulée Boss Black Instrumental Rockers. Enfin, alors qu’on aurait pu craindre à la longue une relative monotonie, l’écoute des trois premiers volumes instrumentaux devient véritablement « compulsive » car ils contiennent des claviers gémissants, des saxophones hurlants, des tambours envoûtants et des guitares brûlantes. « Rien que des morceaux tueurs, pas de bouche-trous » comme l’indique leur géniale devise !
Chuck Norris Vol.2 1946-1962 (KM CD213)
Voici la suite très attendue de la compilation consacrée par Koko Mojo aux premiers enregistrements de Charles « Chuck » Norris. Celle-ci est composée de trois titres à son nom entre 1947 et 1953 ainsi que vingt cinq autres faces dans lesquelles il joue avec plusieurs piliers du R&B et ce, jusqu’en 1962. Précisons que n’est pas répertoriée ici la période de son comeback éphémère qui eut lieu au début des années 1980. Chuck Norris est originaire du Midwest. Il est né à Kansas City, dans le Missouri, le 11 août 1921, et a grandi à Chicago, où il a étudié avec le célèbre professeur de musique Captain Walter Dyett à la DuSable High School de Chicago. C’est là qu’il a appris à lire la musique. Sa polyvalence et son habileté à suivre les modes musicales ont fait de lui un artiste très demandé. Au milieu des années 40, Norris s’installe à Los Angeles où ses prestations dans les clubs locaux attirent l’attention de labels et de producteurs indépendants, en particulier le saxophoniste, auteur-compositeur et producteur Maxwell Davis, dont les relations avec des labels comme Aladdin, Modern et Specialty vont offrir à Norris de nombreuses occasions de travailler en studio. Dans les années 40 et au début des années 50, la côte ouest a été le berceau du Rhythm and Blues, mélangeant divers genres musicaux. On y trouve, pêle-mêle, un amalgame de petits combos au style presque pop avec le blues du Texas et les influences des big bands du Midwest.
Ces faces servaient principalement à combler des lacunes dans le catalogue des labels plutôt que d’être considérées comme des investissements à long terme. C’est pourquoi, elles ont eu une distribution limitée et ont été pressées en petites quantités, ce qui rend la plupart d’entre elles pratiquement introuvables aujourd’hui. Tout au long de sa carrière, Charles Norris n’a publié que peu de titres à son nom. La prudence s’impose quant au nombre exact tant les informations discographiques le concernant sont rares et imprécises. Cela dit, (trop) peu d’amateurs de blues savent qu’ils ont entendu la guitare ou la basse de Chuck Norris dans d’innombrables sessions de Charles Brown et Dinah Washington, Percy Mayfield et Jesse Belvin, ainsi que sur des disques à succès de Bobby Day, The Robins, The Platters et The Rivingtons. Il a même passé un mois à jouer du banjo derrière Louis Armstrong et Barbara Streisand sur « Hello Dolly ».
Les premiers enregistrements de Chuck Norris s’orientent davantage vers le jazz et, plus tard, vers le blues urbain raffiné de Floyd Dixon et Charles Brown, dont les styles doivent beaucoup à la pop veloutée de Nat King Cole. Lorsque Charles Brown quitta les Three Blazers en 1948, il créa son propre trio, The Smarties, avec Eddie Williams à la basse et Norris à la guitare que l’on a pu écouter notamment sur « Let’s Have A Ball » (Alladin 3039, 1949) dans le volume 1. Dans ce volume 2, qui contient 28 titres, on trouve d’autres faces de Chuck Norris, ainsi que des morceaux exceptionnels enregistrés entre 1946 et 1962 avec des artistes tels que Pearl Traylor, Percy Mayfield, Johnny Guitar Watson, Linda Hopkins et Larry Williams. Le premier titre de Norris de ce volume 2 « Rockin’ After Hours » (Alladin 3081, 1951) est un instrumental qui est avec sa guitare au phrasé fluide et aux riffs ravageurs en interaction saisissante avec le saxophone de Maxwell Davis.
Suivent deux faces enregistrées chez Atlantic en 1953, période à laquelle on perd sa trace discographique avant son retour improbable au début des années 1980. C’est Floyd Dixon qui introduisit Chuck Norris en février 1953 auprès de Ahmet Ertegun, le boss du label Atlantic avec lequel il travaillait en plus de son contrat chez Cat Records. « Messin’ Up » (Atlantic 994, 1953) interprété avec une voix rauque et expressive possède un groove magique grâce à un combo en fusion, tandis que « Let Me Know » (Atlantic 994, 1953) est une version slow down qui fait chavirer les cœurs, avec, en filigrane, un piano aérien vibrant. Malheureusement, Ertegun n’a pas saisi, manifestement, l’aubaine de valoriser Chuck Norris dans son catalogue.
Ses deux morceaux ne profitèrent donc pas d’une promotion efficace et n’eurent pas le succès commercial escompté. Parmi d’autres collaborations de valeur égale de Chuck Norris avec les artistes de ce volume 2, citons « You Gotta Give It Up » (Apollo 1004, 1946) avec Frank Haywood and Monroe Tuckers Band avec lesquels il joue d’une guitare particulièrement distordue derrière un orchestre cool et swinguant. Dans « I’ll Be Lonely (Modern 20-761, 1950) avec Floyd Dixon, on savoure sa guitare chaloupée et mâtinée de blues urbain alors que dans le hit rock de Little Willie Littlefield « « Hit The Road » Norris assène un solo qui décoiffe. Le titre « Lump In My Throat » (Modern 837, 1951) est caractérisé par un tempo lent grâce auquel Chuck Norris fait admirer son toucher et la finesse de sa technique. « Louisiana » une des pièces maitresses de Percy Mayfield ((Specialty 432, 1952) a retrouvé son sosie « Cool Caravan » (Specialty 496, 1954) qui est une face alternative enregistrée par les Rhythm Cats.
Norris joue avec une facilité déconcertante du manche de sa guitare sur « Riot In Cell Block #9 » (Spark 103, 1954) premier titre enregistré par The Robins chez Spark Records en 1954. Derrière Linda Hopkins sur « Three Time Looser » sa guitare toujours aussi étincelante fait mouche. Notre homme tire son épingle du jeu avec des phrases toujours aussi fluides et efficaces sur « Whipped Cream » derrière le saxophone rutilant de Lorenzo Holden. Si vous tendez bien l’oreille vous pourrez aussi écouter, subrepticement, la guitare de Norris derrière Etta James sur son classique « Wallflower » (Roll with Me Henry) (Modern 947, 1955). L’accompagnement de Norris sur « Don’t Hold It Against Me (Mercury 20247, 1957) sublime l’interprétation bouleversante de la divine Dinah Washington. On retrouve cette fois Norris à la basse dans une version roborative de « Papa-Oom-Mow-Mow » (Liberty 55427, 1962) titre phare de The Rivingtons. Enfin, le duo Johnny Guitar Watson (ancien du groupe de Johnny Otis) et Chuck Norris se partagent la vedette dans « Sweet Loving Mama » (King, 45-5666, 1962) une version au groove qui fait pousser les meubles du salon pour danser ! ( https://www.youtube.com/watch?v=H1AyrVhs-Rs) Chuck Norris aka « The Los Angeles Flash » est décédé le 26 août 1989 à Tustin, Orange County, en Californie. Vous l’aurez compris, ce volume 2 de Chuck Norris est épatant avec des faces entièrement remastérisées. Il devrait rejoindre rapidement son ainé, le volume 1, en bonne place dans votre discothèque.
Boss Black instrumentals Rockers – volume 1 (KMCD 105)
Le premier opus « Rinky Dink” inaugure cette série instrumentale de la meilleure manière qui soit avec « Malibu » un titre aux accents boogie de Bob Reed & His Band. Le mythique Little Walter, l’un des harmonicistes les plus novateurs du blues moderne, improvise des chorus bourrés de trouvailles. Avec une sonorité dense, son jeu en cadence rapide sur « Flying Saucer » éclabousse la scène grâce à ses lignes mélodiques sinueuses et amples. Un vrai régal ! La guitare au phrasé aérien, subtile et tout en souplesse de Lafayette Thomas, l’un des guitaristes les plus influents et les plus imités sur la Côte Ouest, mène également la danse sur « Cockroach Run », alors que Piano Red pratique un style « barrelhouse » percutant et efficace derrière son piano sur « Wild Fire ».
Son vrai nom était William Lee Perryman. Pianiste et chanteur de blues, également connu sous le nom de Dr Feelgood, il était le frère cadet de Rufus Perryman, plus connu sous le nom de Speckled Red auquel il ressemblait étrangement. Piano Red ne doit pas être confondu avec son homonyme Memphis Piano Red (1905-1982), un autre pianiste de blues barrelhouse. Piano Red a également réalisé des enregistrements avec Blind Willie McTell en 1936, mais ceux-ci n’ont jamais été publiés. Sa propre carrière discographique a débuté en 1950 et il a beaucoup enregistré jusqu’à sa mort ou presque. Johnny Heartsman, le plus talentueux disciple de Lafayette Thomas, est l’un des grands fondateurs du blues de la West Coast. Son talent aux multiples facettes a fait de lui un des artistes de blues les plus populaires : multi-instrumentiste impressionnant (guitare, basse, orgue, flûte, vocal. .. ), compositeur, arrangeur, il a su se créer un style unique, immédiatement reconnaissable. Influencé aussi par des géants comme T. Bone Walker, Pee Wee Crayton ou Charles Brown, il garde de cette mouvance la profonde intensité émotionnelle, mais est également un musicien extrêmement novateur, au service d’un blues contemporain de grande qualité.
Son jeu est véloce, précis, clair, vibrant comme sur « Johnnys Houseparty 1 et 2 ». Jimmy Nolen était un guitariste connu pour sa guitare solo caractéristique de type “chicken scratch” qu’il a mise au profit des différents groupes de James Brown. C’est un style de picking dans lequel les cordes de la guitare sont légèrement pressées contre la touche, puis rapidement relâchées juste assez pour obtenir un son sourd de « scratching » qui est produit par un grattage rythmique rapide de la main opposée près du chevalet. Il interprète ici avec cette technique un virelvoltant titre « Strollin’ With Nolen ». L’immense Elmore James est l’un des compagnons et l’un des principaux émules de Robert Johnson qui a appris la guitare sous l’influence de musiciens hawaiiens. Utilisant la technique du « bottleneck » il procédait par lignes courtes, entrecoupées de silences, faisant croître la tension par des envolées lyriques comme sur « Elmore’s Contribution to Jazz » issu de sa plume qu’il a enregistré chez Chief Records en 1957 en face B de « It’s Hurt Me Too ». Ike Turner qui a boosté sa réputation avec son hit « Rocket 88 » (considéré aujourd’hui comme le premier rock) évoluait à la frontière du rock, rockabilly et du rhythm and blues. Sans oublier qu’il joua un rôle primordial dans le développement et la propagation du blues moderne du Delta. A la guitare, sa virtuosité est confondante lorsqu’il joue des phrases très vives comme sur « Rock-A-Bucket ».
Charles Melvin “Cootie” Williams était l’indispensable piment du cocktail ellingtonien, dans lequel il a pris la succession du roi de la sourdine wa-wa qu’était Bubber Miley. Sa trompette est de tous les grands succès de l’orchestre. C’est lui qui interprète en 1957 le titre éponyme de ce volume 1 qu’est « Rinky Dink ». Le zydeco est peut-être une des rares musiques noires rurales qui a su se moderniser et rester authentiquement populaire et vivante. Clifton Chenier, le maître du « blues français », utilisait les ressources de l’accordéon amplifié. Avec un son énorme, il fait sonner son instrument comme un orgue. Ayant parfaitement assimilé les apports du Rhythm and Blues des années cinquante, il orne ses improvisations de figure modernes et percutantes et montre, néanmoins, un singulier attachement aux formes traditionnelles du blues comme sur « The Big Wheel ». Lazy Lester est le digne représentant du Swamp blues, “blues des marais” (même s’il serait plus juste d’écrire “bayous”…) situé dans la région de Baton Rouge en Louisiane. Le Swamp blues est un courant musical extrêmement excitant, terrien et poisseux, sans doute le style le plus proche du Delta blues du Mississippi.
Lazy Lester joue de l’harmonica aérien et entraînant sur « Lester’s Stomp » face B de « I’m Gonna Leave You Baby ». Ces faces furent enregistrées en 1956 par le producteur J.D. Miller qui oeuvrait à Crowley (petite bourgade située à 30 kilomètres à l’ouest de Lafayette en Louisiane) pour le compte du label de Nashville, Excello. Joe Houston, saxophoniste de Rhythm and Blues possède le don d’un « ténor hurleur » mis en avant dans des morceaux pour la plupart instrumentaux que l’on peut apprécier sur « Shuckin’ ‘N’ Jivin’ » (1956). Al Smith avec « Get Up and Go » face B de « One, Two, Cha Cha Cha » a été enregistré sur le label Falcon par Al Smith en 1957 d’où se distingue un harmoniciste (inconnu ?) talentueux. Pour l’anecdote, Falcon Records, label originaire du Texas, était devenu Abner Records filiale de Vee-Jay à Chicago (du nom du directeur général de Vee-Jay, Ewart Abner ) car il existait déjà un Falcon Records au… Canada, entraînant une sorte de « parasitisme » commercial. Al Smith est plus connu comme superviseur de Jimmy Reed (un ami d’enfance qu’il fit signer ensuite judicieusement chez Bluesway) que comme contrebassiste. Lee Allen avec « Walkin with Mr. Lee » termine ce premier volume dont les faces ont été remastérisées chez « That Time forgot » à El Paso, Texas. Finalement, un album qui ne contient que des instrumentaux aurait pu être à la longue relativement « monotone ». En réalité, on se laisse prendre au jeu d’une écoute « compulsive » puisque la sélection des titres est captivante. Chaudement recommandé.
Boss Black instrumentals Rockers – volume 2 (KMCD 106)
« Zeen Beat » est le deuxième album instrumental de la série. Googie Rene ouvre les portes du bal avec « Wiggle Tail ». Tout est résumé dans le titre détonant « Cool and Crazy » de Nick and The Jaguars. Icky Renrut était le pseudonyme utilisé par Ike Turner. A la guitare, sa dextérité est stupéfiante comme sur « « Ho, Ho » dont le jeu de haute volée brûle les planches avec un glissando incroyable. Tommy Ridgley invite à « Jam Up Twist » et Earl Palmer montre la voie vers « Drum Village 1 & 2 ». Le batteur américain Earl Cyril Palmer, Sr., né le 25 octobre 1924 à La Nouvelle-Orléans, a contribué, par sa maestria et ses tempos à contretemps (backbeat), à établir les fondements de la batterie du rock ‘n’ roll naissant. En tant que musicien de session, il a joué sur des succès classiques d’artistes tels que Fats Domino, Little Richard, Dave Bartholomew, Smiley Lewis et bien d’autres grands noms de la musique populaire américaine. Son style très particulier est particulièrement mis en évidence dans « Tutti Frutti » de Little Richard.
Memphis Slim a également enregistré des chansons instrumentales. « Slim’s Thing » une chanson de Willie Dixon, faisait partie de son répertoire. On peut les entendre ensemble sur « Willie’s Blues » (1960). Lefty Bates déambule sur « Rock Alley » alors que la musique roots de l’harmoniciste Little Boyd avec son groupe The Blue Bees transpire par tous les pores de la peau dans les bouges bondés et enfumés du Mississippi à l’écoute d’une version brûlante de « Harmonica Rock ». “Pacoima stomp”est un morceau original (très recherché par les collectionneurs) composé et enregistré pour le label Rexie en 1959 par les Four Carter Brothers, groupe local de Pacoima San Fernando, CA). Cal Green (22 juin 1935 – 4 juillet 2004) était un guitariste texan talentueux et polyvalent qui a commencé par imiter ses musiciens de blues locaux préférés. Puis, il a joué avec l’un des plus grands groupes de R&B des années 50, a coécrit un tube mondial, s’est tourné vers le jazz dans les années 60 et est revenu au blues plus tard dans sa vie. Le label des Midnighters, Federal Records, basé à Cincinnati, a suffisamment apprécié les rythmes texans de Cal Green pour lui consacrer deux 45 tours en 1958 dont on peut apprécier ici l’instrumental « The Big Push ».
Bill Doggett était un pianiste, organiste et compositeur de jazz et de rhythm and blues. Il interprète ici « Leaps and Bounds » en 1991. Cliff Davis & The Turbo-Jets, avec « Let It Roll Part 1 & 2 », sont démonstratifs avec beaucoup de sifflements et d’onomatopées. Le titre éponyme de l’album « Zeen Beat » est l’œuvre d’un certain Gene Redd. Gene Redd, Sr. était chef d’orchestre, auteur-compositeur et A&R manager (celui qui fait le lien entre les musiciens et la maison de disques) chez King Records /Federal, dans l’Ohio. En 1950, il a rejoint Earl Bostic et son orchestre en jouant du vibraphone et de la trompette. Il fut aussi propriétaire de Redbug Records (Ohio). « Steppin’ Out » (ou parfois “Stepping Out”) est une composition blues instrumentale enregistrée par Memphis Slim en 1959.
Elle a été éditée par Vee-Jay Records en tant que single et sur l’album « At the Gate of the Horn » de Slim. Bien que les deux versions mentionnent L. C. Frazier (un autre des pseudonymes de Memphis Slim) comme auteur, James Bracken, propriétaire de Vee-Jay Records, est souvent crédité sur les versions d’autres interprètes. Le piano de Memphis Slim fournit la première partie harmonique, suivie d’un solo de saxophone ténor et d’un solo de guitare du brillantissime Matt Murphy, guitariste de longue date de Memphis Slim. Le critique de AllMusic Bill Dahl qualifie la contribution de Matt Murphy à l’album de « rien de moins que spectaculaire ». Il a bigrement raison ! En 1966, Eric Clapton a enregistré plusieurs versions de « Steppin’ Out » avec trois groupes différents : Eric Clapton and the Powerhouse, John Mayall et Cream (cf box Crossroads – Live at the BBC – Cream – 1988). René Hall conclut l’album avec « Flippin » titre swinguant. Chaudement recommandé.
Boss Black instrumentals Rockers – volume 3 (KMCD 107)
Le volume 3 « Shaggy Dog » comporte pas moins de 28 autres passionnants rockers R&B instrumentaux à déguster sans modération avec un zest de doo wop et une pincée de danse jive. On découvre des pointures et des noms moins familiers. Pour commencer, Clifford King dans « Chicken Shack Boogie » (Apache records) blues primitif, brut et hypnotique de Floride, donne le ton de l’album sur un joli mid-tempo R&B avec un harmonica bien en place qui renvoie aux sonorités de Jimmy Reed. Difficile à trouver en 45 tours original sans payer un prix exorbitant ! Avec un style sauvage et animé, Buster Brown, originaire de Géorgie, s’est fait connaître en enregistrant un blues très rustique « Fannie Mae » accompagné à l’harmonica, tout en poussant des cris et hurlements, sorte de « whooping » emprunté à Sonny Terry.
Ici, avec « Madison Shuffle » la tendance est au R&B avec un titre dansant et swinguant. Aaron Thibeault, dit T-Bone, était un guitariste, chanteur, auteur-compositeur et multi-instrumentiste de blues caractérisé par le jeu de guitare « note par note » de Lonnie Johnson, qu’il avait vu jouer. Il évolue à la frontière du jazz, swing et du blues texan. Il fut l’un des pionniers de l’utilisation de la guitare électrique dans le blues. L’influence de T-Bone Walker sera prédominante après-guerre et marquante dans l’évolution du blues. Tout d’abord, son utilisation de la guitare électrique et son jeu extrêmement varié ont constitué un tournant décisif dans la musique de jazz. En outre, son jeu de scène explosif a fait de lui l’un des pionniers du rhythm and blues, de la rock music et aussi de la pop music.
De grands musiciens tels que Charlie Christian, Clarence « Gatemouth » Brown et B. B. King doivent beaucoup à son style rageur. Son titre le plus reconnaissable immédiatement est sans doute « (They Call It) Stormy Monday », datant de 1947 tandis que celui qui est proposé dans cet album est le plus connu « Two Bones And A Pick » qui possède un swing intemporel et jouissif.
Un autre nom célèbre est celui d’Elmore James, adepte de la guitare slide. En face B de « Make My Dreams Come True », James a sorti « Bobbys Rock » avec ses Boombrusters en 1960 à l’écoute duquel ses influences blues sont déjà perceptibles. La musique de Jerry « Boogie » McCain donne envie de danser à tous ceux qui l’écoutent. McCain est né à Gadsden, en Alabama, en 1930. À l’âge de cinq ans, il commence à jouer de l’harmonica en écoutant les 45 tours du juke-box de son père propriétaire du Green Front Cafe. « Boogie » doit son surnom à ses chansons entraînantes et à son attitude souriante lorsqu’il joue de l’harmonica dans la rue. Influencé par Little Walter, le style instrumental de Jerry « Boogie » McCain est à la fois dense et gorgé d’imagination. Ses textes ont une verve contagieuse. En 1953, Lillian McMurry, l’enregistre pour son label Trumpet Records. En 1955, il continue sa carrière discographique sur Excello. « Steady » est la face B de « She’s Tough ».
Cousin de John Lee Hooker, Earl Zebedee Hooker apprend la guitare dès ses 10 ans. Autodidacte à l’instrument, il ne montre en revanche aucun intérêt pour le chant. A Chicago, il fait la connaissance de Robert Nighthawk qui lui apprend la technique de la slide guitare ainsi que Junior Wells avec lequel il joue régulièrement dans les rues de la ville. Considéré comme le « musicien des musiciens », il a joué avec des artistes de blues tels que Sonny Boy Williamson II et a dirigé ses propres groupes. Joueur précoce de la guitare électrique, Earl Hooker a été influencé par les styles urbains modernes de T-Bone Walker et Robert Nighthawk. Il a enregistré plusieurs singles et albums en tant que chef d’orchestre et avec d’autres artistes connus. Son « Blue Guitar », un single instrumental à la guitare slide, a été populaire dans la région de Chicago et a été repris plus tard par Muddy Waters sous le nom de « You Shook Me ». Earl Zebedee Hooker a enregistré le swinguant « Dynamite » en face B de “Trying To Make A Living” de Bobby Saxton, paru en 1960 chez Bea & Baby (106), Marjette (2011) & Checker (947). Royal Earl & The Swingin’ Kools déroule sur le « Royal Earl Shuffle » alors que Rice Miller (Sonny Boy Williamson II) interprète avec un band de rêve « The Goat ».
Rice Miller aka Sonny Boy Williamson II faisait jaillir d’un instrument diatonique des sons d’une incroyable richesse. D’une voix aussi mâchonnante mais plus savoureuse que celle de son homonyme John Lee Curtis « Sonny Boy » Williamson, il tirait des nuances subtiles et des sous-entendus captivants. Son chant alternait averc des ponctuations ou des envolées d’harmonica, au phrasé très complexe et gorgées d’imagination. Avec un sens aigu de la mise en place, il dégageait un swing inouï. Rice Miller était un homme atypique et intriguant qui laisse une impression bizarre.
Dans le blues, il est fréquent qu’un musicien clame sa filiation à son maître ou à son idole en lui empruntant son nom. Or, le cas de Rice Miller est édifiant car il a emprunté l’identité de John Lee Curtis « Sonny Boy » Williamson (qui jouait en acoustique comme sur son premier titre « Good Morning, School Girl » sorti en 1937) en affirmant qu’il était, lui, l’original et que l’autre – le vrai – était un usurpateur. Son surnom de « Rice » provient du travail régulier qu’il effectue un temps dans les rizières à la frontière de la Louisiane et du Mississippi. Gérard Herzhaft, musicologue français et spécialiste des musiques populaires nord-américaines ajoute : « (…) Bonimenteur et showman autant que bluesman, ce Sonny Boy-là a entouré son existence d’un tel épais tissu de bobards qu’il a fallu un travail de limier de la part de chercheurs britanniques pour démêler la fiction de la réalité. Et encore : que d’incertitudes demeurent sur Sonny Boy no 2, à commencer par sa date réelle de naissance ! ».
Il n’en reste pas moins vrai que le testament musical de Rice Miller est immense, lui qui a influencé, entre autres, Junior Parker ou James Cotton ainsi que d’innombrables amateurs de blues de par le monde. Lloyd Glenn, pionnier du style West Coast » Blues, joue sur un piano aérien et virevoltant dans « The Shakedown ». Roy Montrell, guitariste polyvalent, était aussi à l’aise dans le blues que dans le jazz (sa véritable passion) et le rock and roll. Membre de l’orchestre de Fats Domino pendant 25 ans, il a enregistré une poignée de titres à son nom. Le voici dans « Mudd » un instrumental à la guitare fluide qui date de 1960 alors que son titre le plus connu est « That Mellow Saxophone » enregistré chez Specialty. The Viscounts mettent le feu dans « The Midnight Train ». Bill Parker de Lake Charles, Louisiana, (de son vrai nom Willie P. Guidry) est lui aussi transcendant dans « Boogie Bayou Shuffle ». Le Kid King’s Combo s’éclate littéralement sur le titre éponyme de l’album « Shaggy Dog » et Don & Dewey concluent avec « Jump Awhile ». Boss Black Instrumental Rockers est une série séduisante avec des découvertes et des véritables bijoux. Gageons que les prochains albums seront du même tonneau. A consommer sans modération.
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